Monsieur Michel
« Vous êtes certainement Monsieur Michel. C’est vous que je venais voir… »
Il en fait une drôle de tête, « Monsieur Michel ». Les yeux mi-clos, sous son chapeau de cuir à larges bords, Michel Tertipis me détaille, avec mon T-shirt acrylique et mon sac à dos étanche dernier cri. Mettez-vous un peu à sa place, attablé à la cour des miracles de ce boui-boui miséreux de Bekopaka. Imaginez un peu l’effet que vous ferait, au terme de trente ans de cavale dans les mangroves du delta, les bivouacs du Bongolava ou les bars canailles de Tana, cette apparition inopinée d’un jeune blanc-bec, qui vous appellerait « Monsieur Michel » et vous annoncerait qu’il vient, à neuf mille kilomètres de chez lui, de débusquer celui qu’il cherchait…
« On va acheter deux trois bières et on va aller les boire chez moi », conclut immédiatement Monsieur Michel, d’une voix grave. J’avale en deux gorgées gargantuesques les 66 centilitres de ma THB – Three Horses Beer, la bière locale – et nous décollons. Je le tiens enfin, mon « inventeur » de la descente de la Manambolo. Tertipis est né sur le fleuve, il y a quelque soixante-dix ans. Le premier, il a guidé des « Vazahas », des Blancs, sur les méandres de la rivière. Sa réputation le précède, ici, là-bas, tout au long de la rivière et jusqu’au bout du monde. Crocodiles, berias (le boeuf sauvage de Madagascar, dont il ne reste que quelques spécimens), ses exploits de chasseur en font un personnage incontournable des eaux rouges du fleuve Manambolo. Dans son petit bungalow, des rangées de bouquins, un chapeau de brousse, un calibre 12 et un ordinateur portable flambant neuf. Six romans qui passeront, espérons-le, un jour à la postérité. Des histoires de chasse au croco, des histoires à dormir debout, des histoires à ne pas dormir du tout.